Retour sur une expérience pédagogique menée avec les étudiants en première année de licence en université dans le cadre d’un atelier « Identités et arts plastiques » conduit par Bénédicte Van Tichelen[1] et Isabelle Roussel-Gillet, en 2009-2010. Le cours est ainsi présenté dans le programme lorsqu’il est créé en 2009 :
Identités et expression artistique : approche pratique par l’expression artistique de son identité personnelle et de son devenir professionnel. Ce cours utilise des techniques artistiques (arts plastiques, voix et images) afin de contribuer au développement personnel mais aussi de mettre en relation l'expression artistique et le contexte professionnel. Les stimulations viendront de la vidéo, de la peinture et de l’art contemporains.
Objectif final : exposition d’arts plastiques sur le thème de la distribution textile.
Certains choisirent d’imaginer leur futur métier, d’autres de rêver à un métier qu’ils n’exerceraient pas. Ils se mirent à peindre, couper, d’autres à coudre, à tordre… pour dire et nous dire comment ils pensent la société du travail.
Si l’expression made in cousue à l’intérieur du vêtement signale un pays de fabrication, le projet artistique collectif impose à chacun de refabriquer un autre vêtement made by myself et de se poser une question qui implique la personne : Le format XXL du vêtement demandant des épaules larges : faut-il l’ajuster ? À quel corps ? Que faire avec ce vêtement neuf, jamais porté, sans vécu, privé d’anecdote, de parfum, de trace ? Quel métier vais-je interroger ? Pourquoi ? Existe-t-il un état de vêtement qui serait plus « professionnel » ?
En pratique
En ce qui concerne le choix du métier, certains ont choisi leur futur métier, comme cet étudiant voulant devenir manager d’une concession automobile.
Le titre du cartel « Blanc de travail et col bleu » inverse les expressions liées aux vêtements de travail et joue d’un chiasme, d’une symétrie inversée. La moitié de la chemise est cousue à une moitié de bleu de travail. Ce dernier provient d’un atelier, il appartenait à un ouvrier et est donc usagé et taché à la différence de la chemise neuve. Le texte du cartel explique le désir d’établir une synergie en rompant la séparation entre la force de vente et l’atelier mécanique que conforte la séparation spatiale : « La réussite d’une concession automobile pour affronter la surenchère de compétitivité passe par la collaboration entre l’atelier et l’équipe de vente ». La photographie du travail final peut venir étayer un dossier de Curriculum vitae. Une future acheteuse textile pense à la nécessité d’éviter les produits fabriqués par des enfants et choisit d’épingler cette violence faite aux « petites mains ». Une future inspectrice des impôts s’interroge sur le blanchiment d’argent. En phagocytant un commercial par une ceinture sur laquelle on peut lire trois mots - pression, résultat, compétition - un travail interroge la pression des objectifs. Le torse est gonflé, se boursoufle, grossit.
D’autres métiers ne correspondent pas au projet professionnel mais au désir de penser le vêtement : la styliste (le vêtement à l’atelier), la meneuse de revue (le vêtement de scène), le rocker (le vêtement mythique)…
« Chacun était invité à prendre un manteau et à le mettre dans une voiture qui partait en Bosnie, où la guerre faisait rage ».
Que signifie la tentation de célébrer cette blancheur (celle du col blanc), de passer par d’autres corps de référence, des corps souvenus ? Le vêtement, on le sait, recouvre toujours le fantasme de changer de peau.
Taille ?
La contrainte imposée se doublait du choix d’un format de l’excès, celui du XXL, métaphore de ce travail qui demande des épaules larges dans l’esprit d’étudiants qui construisent leur identité professionnelle. Nous nous doutions bien que le choix de ce matériau interrogerait les étudiantes, en les confrontant à un vêtement que la taille ne rendait pas mixte. Quelques unes allaient-elles penser cet écart ? Comment traduiraient-elles une pensée de l’écart ou comment la résorberaient-elles ? Un travail transforma la chemise en corset de meneuse de revue, un autre en robe de haute couture. Une robe qui occupa l’espace par sa taille sur mannequin, son socle, son amplitude et son ombre portée.
Chemise ?
Chemise masculine de jour et chemise féminine de nuit.
Chacun devait donc a priori se frotter à un écart, à une mise à distance avec ce vêtement qu’il ne s’agissait pas de passer ou de mettre mais d’installer.
Chacun ne l’ayant pas choisi.
Chacun problématisant son rapport à l’uniforme, à la norme auquel résiste l’individualité. Devenir « cadre ».
Chacun le sachant jamais porté, privé d’anecdote, de trace, de parfum. Un vêtement sans vécu loin des pratiques de Boltanski, que nous leur avions présentées.
Une autre chemise en carton, tenue sous le bras, signale la maîtrise d’un dossier.
Chemise : emploi métonymique de formations paramilitaires, exemple : chemises brunes.
« Changer d’avis comme de chemise », « Être comme cul et chemise »…
Made ?
L’article du dictionnaire « to make » leur fût distribué pour un chemin du Made in China au Ready-made de Duchamp.
Un travail collaboratif
Isabelle Roussel-Gillet
3 mai 2010
[1] Bénédicte Van Tichelen est professeur d’arts plastiques et peintre. Isabelle Roussel-Gillet est maître de conférences et commissaire d’exposition. Elles collaborent pour la première fois et ont conçu cet atelier pour des étudiants hors parcours artistique. Les expositions se sont tenues au SCD de La faculté de droit de Lille et à l’IMD de Roubaix en mai 2010. Nos remerciements à Elise Anicot, Maud Herbert, Isabelle Colin-Lachau, Ingrid Delerue, Halima Koudri et aux étudiants de l’atelier. Chaque étudiant a assumé son travail par le cartel indiquant ses prénom et nom. Crédits photographiques : B. Van Tichelen.